Juvénal Habyarimana était un chrétien pratiquant de confession catholique. Il est arrivé que ceux qui s’opposent à la religion s’opposent à lui pour cela. On avait même une chapelle à notre domicile. Étant mon père, je dirais donc que notre lien particulier vient du fait que j’ai moi aussi étudié au Petit Séminaire.
Le père de mon père, mon grand-père, était catéchiste à la Paroisse de Rambura du diocèse de Nyundo au Nord-Ouest du Rwanda. On l’appelait “Mwarimu” (maître, enseignant)
Cependant, mon père n’avait pas de vocation sacerdotale. Ses études au Petit Séminaire n’ont duré que trois ans. Comme j’y ai moi aussi passé cinq ans, j’étais convaincu d’y être par vocation. Alors, mon père me disait de choisir les Jésuites si je voulais vraiment entrer dans les ordres. Mais je n’ai pas achevé mon cycle au Petit Séminaire.
À la maison, il évoquait parfois la mythologie grecque mais il avait en grande partie oublié son latin. Il me demandait alors de lui rappeler quelques cas, mais en fait, moi non plus je ne m’en rappelais pas beaucoup.
La littérature en général fut aussi notre terrain d’entente, et il en connaissait grand chose. Un jour en France, il avait dévalisé la librairie de la Maison Gallimard et quand il est rentré au pays, j’étais ému : me lancer tout de suite sur le volume des œuvres complètes de Blaise Pascal pour commencer la lecture…et je le laissais, en fait, croire que je ne pouvais pas entrer dans son bureau à domicile dévaliser à mon tour sa bibliothèque.
Cela est-il possible? Je connaissais l’écriture manuelle même d’Alexis Kagame. C’était des vermicelles; car mon père avait un exemplaire dédicacé de “La philosophie Bantu comparée.”
Beaucoup d’autres auteurs moins intéressants lui offraient leurs livres. Un bon nombre d’étudiants rwandais lui offraient des copies de leurs thèses ou mémoires de diplômation. Et moi, je me délectais à son insu car quand il n’était pas là, j’allais à son bureau emprunter de la lecture. De toute façon, au Petit Séminaire, le directeur m’avait nommé bibliothécaire, donc je savais ranger les livres. Je les remettais donc bien en place aussi dans le bureau de papa.
L’archevêque de Kigali venait lui-même célébrer la messe dans notre chapelle familiale les dimanches. Quand ce n’était pas lui, c’était un autre prêtre. Et moi, je faisais souvent la première lecture. Mais en semaine, il me fallait aller à l’église la plus proche, à sept cents mètres de la maison. C’est en ce sens que Jésus lui-même est fortement concerné dans le bilan de la vie de papa. Pour comprendre le destin de mon père, il faut avoir Jésus à l’esprit.
Jean-Claude Habyarimana