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RWANDA : Quand la DGSE ne voulait rien voir

L’exploitation récente, à des fins de propagande, d’une ancienne note de la DGSE a provoqué de nombreuses réactions indignées protestant contre l’importance démesurée donnée à un papier contestable. Un lecteur plus attentif que moi me fait observer aujourd’hui que ce texte porte la date du lendemain d’une interview de Bagosora sortie le 21 septembre 1994 sur France 3 dans une émission de soirée. Il semble donc plus que probable qu’un politique a décroché son téléphone et demandé « vite-fait / tout de suite » une note sur le personnage. Le rédacteur de permanence de la DGSE s’y est donc collé, a ouvert son porte-papier, trouvé le rapport des ONG du printemps 1993 et a produit le très médiocre document qu’on essaie aujourd’hui de nous vendre comme la preuve des preuves.

Et, depuis, les écrits et discours de la DGSE restent pollués , pour ceux qui sont connus, par le même aveuglement et la même partialité. Ainsi, le 06 avril 2014, un article publié par l’Obs fait dire à Claude Silberzahn – ancien directeur, jusqu’en 1993, de la DGSE – qu’ « Il n’y avait aucune influence anglo-saxonne » dans le conflit qui a ensanglanté le Rwanda de 1990 à 1994[1] !

Cette affirmation aventureuse remet en cause la fiabilité de ce qui est considéré par certains comme un service de renseignement fiable. En effet, comment les personnels de la DGSE auraient-ils fait pour ne pas voir ce qui s’étalait au grand jour devant eux ?

  • Le 4 octobre 1990  à Kigali:Le 4 octobre 1990 au matin l’Ambassade des Etats-Unis a informé – et affolé – les populations en affirmant urbi et orbi (ma femme l’a appris avant moi, en visitant le centre culturel américain) que la ville de Kigali serait attaquée par l’APR la nuit prochaine.Le branle-bas qui suivit fut considérable et les FAR prirent dans la ville les positions de combat en conséquence. Toute la nuit, seuls dans un trou face à l’obscurité, les militaires rwandais peu aguerris ouvrirent le feu à tout propos, sur le moindre bruit, le moindre souffle de vent. Deux coups de canons de 90 mm tirés par les AML Panhard de la Garde Présidentielle trouèrent la nuit et firent baisser la tête à tout un chacunLes militaires français du 2° REP qui étaient arrivés le 4 à la tombée de la nuit furent pris à partie, par des armes automatiques pour ceux qui cantonnaient dans les bureaux de la Mission civile et par jet de grenade à manche pour ceux qui avaient été logés à l’école française. Leur professionnalisme , contrastant avec l’ambiance locale leur permis de ne pas riposter.Bilan de la nuit : beaucoup de bruit pour rien : seuls deux pauvres veilleurs de nuit ne demandant rien à personne ont été tués. Mais surtout les FAR se sont aperçues au petit matin qu’à tirer en l’air pour se rassurer, elles avaient épuisé leurs munitions d’infanterie. Elles ont réclamé à la Belgique la livraison en urgence des munitions commandées et payées. Cette livraison lui fut refusée par l’Etat belge et le 5 octobre, cinq jours après le début de la guerre d’Octobre, l’armée rwandaise, à cours de munitions, se trouvait quasiment hors de combat.L’Ambassade des Etats Unis a donc eu un rôle indubitable dans ce premier temps du conflit : Qui l’avait avisée de l’attaque imminente de la capitale ?Mais cette attaque n’a finalement pas eu lieu, probablement contrecarrée en dernière minute par un heureux coup d’arrêt donné par les hélicoptères FAR à la colonne FPR descendant de Gabiro en direction de Rwamagana. Et l’ambassade US n’aura, à l’évidence, pas été avisée de ce contretemps.On peut donc logiquement penser que les USA avait été avisés du plan d’invasion du Rwanda par l’APR dès avant le 1° octobre mais qu’ils n’ont pas été tenus au courant en temps réel des avatars de l’offensive.
  • En juin et juillet 1993 à Arusha Ceux qui ont suivi les négociations de paix se tenant à Arusha n’ont pu qu’être intéressés – comme je le fus moi-même en juin et juillet 1993 – par l’indéniable proximité affichée entre la représentante US, et les deux délégations du FPR et de l’Ouganda.Madame Joyce Leader, n° 2 de l’ambassade US à Kigali en temps ordinaire, était détachée à Arusha où elle demeurait à plein temps, ce qui lui permettait de coacher les délégations ci-dessus en tant que de besoin, lors des séance plénière mais aussi, le soir après diner, lors des préparations informelles des réunions plénières du lendemain, lorsque chaque délégation se retirait pour réfléchir en a parte et préparer l’étape suivante.Dans le même temps, le représentant français, M. Beliard, n°2 de l’Ambassade de France à Dar es Salam, ne logeait pas à Arusha et traversait la Tanzanie pour n’intervenir que de temps en temps, lors des séances plénières. Il restait fidèle au rôle de facilitateur qui était celui de la France, penchant davantage vers l’observateur tandis que Mme Leader avait une conception beaucoup plus engagée du même rôle, à la limite du coaching pour ne pas dire du leadership (ce qui, bien qu’étant assez juste pourrait passer pour un mauvais jeu de mots).La DGSE ne pouvait pas ne pas être présente puisque tous les services étaient présents. Ainsi, je me souviens en particulier de l’agent du MOSSAD, ancien pilote de l’armée de l’air israélienne, vétéran de toutes les guerres de Tsahal et fort sympathique au demeurant. Présent dans la région au prétexte de gérer une mine de rubis pour le compte d’une société libanaise[1], il ne manquait pas un cinq à sept au bar de l’hôtel où logeaient les délégations. Les conversations allaient bon train et le whisky déliait les langues.Mais, si on en croit l’Obs, aucun rapport marquant cette proximité USA/FPR/Ouganda ne serait arrivé à Paris .En 1993 et 1994 à Kigali
    • Proximité USA/opposition intérieure à Habyarimana
    • En 1993, la DGSE ne pouvait pas ne pas s’être aperçue que la résidence de la n°2 de l’ambassade US à Kigali était mitoyenne avec la résidence de la première ministre rwandaise. Les échanges étaient donc informels et quotidiens entre Joyce Leader, déjà citée, et Agathe Uwilingiyimana, premier ministre rwandais farouchement opposée au président de la république rwandaise et toute disposée à passer accord avec le FPR.
    • D’ailleurs, lorsque sa vie sera directement menacée, le 7 avril 1994 au matin, Agathe Uwilingiyimana tentera de franchir la barrière mitoyenne pour se réfugier chez sa voisine américaine. Mais, d’après le récit de Joyce Leader, elle en sera dissuadée par les tirs des agresseurs et sera finalement assassinée un peu plus loin dans les conditions que l’on sait.
    • Les écoutes anglaises et israéliennesLa DGSE ne pouvait pas ignorer ce dont Philippe Charrier, colonel du SIRPA[1], s’était rendu compte lors d’un assez bref séjour au Rwanda relaté par Pierre Péan[2] : «  ….Charrier est chargé, début mars, d’une mission discrète à Kigali, à la fois pour élucider certains dysfonctionnements dans le dispositif français – notamment les fuites répétées d’informations confidentielles – et pour monter une opération de communication. Il découvre à cette occasion que «…….Les fuites se multiplient aussi à cause de la guerre franco-anglo-saxonne dont personne ne veut parler[3]. Les services anglais louent plusieurs chambres à l’hôtel des Mille Collines pour pratiquer des écoutes. Dans des chambres voisines se sont aussi installés les services israéliens… ».Si un officier du SIRPA de passage s’en est aperçu au cours d’un bref séjour…, passons !
  • début avril 1994 à Bujumbura et Kigali
  • Quelques jours avant le 6 avril 1994, un bataillon de quelques 350 US Marines serait arrivé à Bujumbura. L’Ambassadeur US à Kigali y fera référence sans dissimuler davantage lorsque d’aucuns s’inquiéteront de l’évacuation des ressortissants américains après l’assassinat des deux chefs d’états rwandais et burundais.D’ailleurs cette évacuation sera effectivement assurée par la route vers le Burundi, en lien avec la présence rassurante des rangers US, et … après avoir été organisée par le Colonel VUJKOVICH, attaché militaire US non résident à Kigali mais arrivé fort à propos quelques heures avant l’attentat.On ne pouvait mieux signifier que les Etats Unis ont, à nouveau, été pour le moins avisés de la perpétration imminente du crime qui allait déclencher le génocide. Ce n’est pas encore la preuve qu’ils ont été consultes pour sa planification, mais on en approche sérieusement…. Il en était de même, souvenons-nous, de l’attaque de Kigali trois ans et demi plus tôt.Ainsi au vu et au su de tout un chacun, les anglo-saxons en général et les Etats Unis en particulier, ont été à l’alpha et à l’oméga du drame rwandais. Ils ont été, de 1990 à 1994 et plus encore par la suite, ouvertement présents à chacun des moments clé qui ont amené ce pays à l’abîme. Si cela ne constitue pas une « influence anglo-saxonne », cela ne peut être considéré que comme une implication directe.La DGSE n’a pas pu ne pas le voir. Pourquoi écrit-elle et dit-elle le contraire ? Et pourquoi, d’aucuns veulent aujourd’hui promouvoir ces écrits de commande comme autant de preuves irréfragables ?

[1] https://www.nouvelobs.com/monde/20140404.OBS2776/la-france-a-t-elle-mene-une-guerre-secrete-au-rwanda.html

[2] Son acolyte, corse en cavale après je ne sais quel crime de sang commis dans l’ile de beauté sera, m‘a-t-on dit abattu sur la voie publique, quelques  années plus tard et moins d’une semaine après un retour assez prématuré à Bastia

[3] Service d’Information et de Relation Publique des Armées , ancêtre de l’actuelle DICOD

[4] « NOIRES FUREURS, BLANCS MENTEURS » pages 168 et 169

[5] Selon un ordre formel venu, semble-t-il, de François Mitterrand.

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