En ce mois d’avril 2010, nous commémorons le 16e anniversaire de la mort de notre père, le Président Juvénal Habyarimana, et celle de son homologue du Burundi, le Président Cyprien Ntaryamira, ainsi que celle de leurs proches collaborateurs et membres d’équipage, victimes d’un attentat terroriste relégué jusqu’à ce jour aux oubliettes et devenu une énigme devant le mutisme complice de la Communauté internationale.
Cet ignoble crime a laissé les enfants et épouses de 12 familles toutes entières orphelins et veuves dont tout travail de deuil digne reste comme un mirage constamment éloigné.
Leurs assassins ne sont nullement inquiétés, certains se faisant dérouler le tapis rouge et se voyant accorder des honneurs dans des pays étrangers, tandis qu’ils sont confortablement installés au pouvoir à Kigali où l’impunité leur est assurée, malgré la terreur et l’écrasement qu’ils infligent au peuple qui ne cesse de crier au secours!
Nonobstant de sérieuses découvertes et d’importantes révélations accablantes, dont celles se dégageant des enquêtes des juges français Jean Louis Bruguière et espagnol Fernando Merelles, qui ont été sanctionnées par la délivrance de mandats d’arrêt internationaux visant une quarantaine de personnalités de l’entourage du Président Kagame, lui-même pointé du doigt par ces enquêtes comme commanditaire de plusieurs crimes, y compris l’ignoble attentat du 6 avril 1994, nous regrettons d’assister toujours à l’inertie déconcertante de la Communauté internationale devant cette impunité.
Nous espérons et attendons de cette même Communauté qu’elle accorde au peuple rwandais en particulier et aux africains en général, la même reconnaissance et la même estime que celles dont a bénéficié le peuple libanais lorsque les grandes puissances et les Nations Unies ont mis en place un tribunal spécialement chargé de faire la lumière sur l’assassinant de l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri, et poursuivre ses assassins.
En ce début d’avril 2010, nous, enfants du feu Président Habyarimana, renouvelons nos condoléances et notre sympathie aux milliers de victimes du génocide rwandais, provoqué par l’assassinat de notre père, et dont les conséquences ont frappé toute la région des Grands Lacs africains, encore une fois sous le regard indifférent et complice de la Communauté internationale.
Nous dénonçons une fois de plus, avec une profonde déception, ce que nous appelons une véritable aberration à la justice dans le cas du génocide rwandais, où le Tribunal Pénal International pour le Rwanda juge les conséquences d’un acte terroriste sans juger les auteurs de l’acte lui-même, où le Tribunal juge les crimes commis pendant l’année entière de 1994 mais efface délibérément la date du 6 avril 1994 de son calendrier de compétence, alors que cette date marque sans contredit le déclenchement du génocide rwandais, et où le Tribunal décide de ne juger que les vaincus et de fermer complètement les yeux devant les crimes flagrants des vainqueurs.
La vérité et la justice sur l’assassinat de notre père ne peuvent en aucun cas être exclues de l’impératif préalable à une véritable justice et une réelle réconciliation du peuple rwandais meurtri par une tragédie qu’il n’a ni souhaitée ni méritée.
Malgré la volonté des autorités actuelles de Kigali, la date du 6 avril ne doit pas être effacée dans l’histoire du Rwanda ni dans la mémoire du peuple rwandais et de l’humanité toute entière.
La commémoration du 6 avril doit être notre droit naturel de pleurer tous les nôtres et des centaines de milliers, sinon des millions, de compatriotes sacrifiés pour des raisons inexpliquées.
L’extermination de toutes ces victimes est intervenue dans le cadre d’un vaste plan de contrôle du pouvoir par épuration qui continue de sévir sous plusieurs formes dans notre pays d’origine, le Rwanda, depuis 1990 jusqu’à ce jour.
Voilà déjà 16 ans que notre famille, sans oublier de nombreuses autres familles de compatriotes rwandais et d’autres personnes éprises de justice, sommes malmenés par certains représentants des États et de la presse à différents échelons, et par certaines associations qui se cachent derrière des objectifs nobles, mais agissent officieusement en complicité avec le gouvernement du FPR dans un plan minutieusement étudié, visant à anéantir tout opposant avéré ou présumé, ou toute personne représentant une menace pour le régime du FPR, afin de faire obstruction à la vérité et ainsi assurer son impunité.
Une fois de plus, ces dernières semaines nous avons assisté avec indignation à une pitoyable comédie médiatique où certaines personnalités et la presse tentent encore de faire passer notre chère mère, épouse du feu Président Habyarimana, comme étant une instigatrice des malheureux événements qui ont frappé notre pays en 1994.
Ils se font ainsi la caisse de résonance du pouvoir de Kigali, se fondant sur des accusations purement gratuites et mensongères – accusations que d’ailleurs le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a considérées comme étant des éléments issus du montage du pouvoir de Kigali.
Avec un cynisme sans égal, ils essaient de se substituer au TPIR en refondant leurs accusations sur une prétendue planification du génocide rwandais par Madame Habyarimana et ses proches et une prétendue appartenance à l’”Akazu”.
Or, comme nous venons de le dire, ces deux éléments ont été démolis par des avocats de la défense et des experts au TPIR, puis rejetés par ce même tribunal.
Cette tentative de détournement et de réécriture de l’histoire réelle vise à couvrir les forfaits du FPR et de son Président Paul Kagame, qui n’ont pourtant cessé d’humilier et d’incriminer la France. Paradoxalement, ces responsables français n’hésitent pas à couvrir les ignominies du FPR au détriment de l’armée française diffamée par ce dernier, et de leurs compatriotes et ressortissants exterminés par les combattants de ce mouvement rebelle devenu aujourd’hui parti au pouvoir.
Notre chère mère est fort déchirée par la mort atroce de son mari et par la tragédie qui s’en est suivie, semant une désolation inexprimable dans tout le pays.
Elle est, une fois de plus, poignardée dans le dos par ces assassins qui, depuis déjà 16 ans, organisent un complot contre elle dans le but d’opérer une diversion et de tromper l’opinion publique internationale en voulant la passer pour une criminelle.
Nous saisissons cette occasion pour réaffirmer avec véhémence l’innocence de notre mère Agathe Kanziga Habyarimana ainsi que celle des autres membres de notre famille accusés par le pouvoir de Kigali.
En effet, différents mensonges, rumeurs, délations et menaces sont toujours orchestrés contre nous par les assassins de notre père, puisque nous sommes des témoins directs, et donc des témoins gênants, qu’ils doivent éliminer ou discréditer par tous les moyens pour continuer à asseoir leur mensonge.
Toutes ces accusations n’ont qu’un seul but ; celui d’anéantir politiquement voire physiquement toute personne susceptible d’incarner le refus d’une idéologie d’apartheid des temps modernes qui s’est installée au Rwanda, en s’attaquant aux symboles, et ainsi couvrir les crimes du régime dictatorial du FPR installé à Kigali depuis juillet 1994.
Comme l’a dit notre mère elle-même, nous aussi avons confiance en la justice française et nous souhaiterions qu’elle aille jusqu’au bout afin que le statut de victime soit reconnu à notre mère et à la majorité du peuple rwandais qui se trouve injustement accusée et dont elle incarne le symbole.
Nous espérons que notre mère aura droit à un procès équitable qui lui permettra enfin de casser une fois pour toutes ces fausses rumeurs accablantes et de prouver son innocence. Nous espérons par ailleurs que cet éventuel procès contribuera à faire connaître la vérité et à rendre la vraie justice.
Il existe maintenant suffisamment de preuves accablantes, de rapports judiciaires, de témoignages crédibles de témoins oculaires ainsi qu’une abondante documentation qui attestent que le Front Patriotique Rwandais (FPR), aujourd’hui au pouvoir au Rwanda, a planifié, depuis l’invasion du Rwanda en 1990, et exécuté la déstabilisation du pays, des assassinats ciblés y compris celui du Président de la République et d’autres personnalités politiques, des intellectuels, des religieux, des commerçants ainsi que d’anciens cadres administratifs, et des massacres à grande échelle de la population en vue de s’assurer le contrôle exclusif du pouvoir et des ressources du Rwanda et des régions voisines, essentiellement de la République Démocratique du Congo.
Nous en appelons à la Communauté internationale, de tourner son regard vers le bas peuple rwandais qui souffre sous le joug d’un régime totalitaire, afin de l’aider à jouir d’une vraie démocratie, en passant par la vérité, la justice équitable, la réconciliation réelle et la paix durable.
Nous renouvelons encore une fois notre attachement au peuple rwandais tout entier. Nous sommes en communion avec toutes les victimes du génocide rwandais en ce mois d’avril et espérons de tout coeur que le Rwanda retrouve un équilibre et une égalité entre ses composantes pour que le chemin de la dignité et l’apaisement des coeurs lui soit, enfin, accessible.
Fait à Paris le 8 avril 2010
Par les enfants du feu Président Juvénal Habyarimana