Suite à la sortie du rapport dit « Mutsinzi » sur l’attentat du 6 avril 1994 dans lequel périrent 12 pères de familles rwandaises, burundaises et françaises* ; nous, la famille du président rwandais Juvénal Habyarimana, nous sentons dans l’obligation de mettre en garde l’opinion publique face à une tentative de manipulation et de diversion sur cet attentat terroriste qui nous a arraché notre père. Nous voulons tout d’abord réfuter l’objectivité de ce « Comité indépendant d’experts » dont le mot « indépendant » n’est qu’un embellissement pour des besoins de communication. Nul n’ignore que M. Jean Mutsinzi, président de cette commission, est un membre fondateur du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) et ancien président de la Cour suprême du Rwanda toujours sous le même régime du FPR. Sa proximité avec Paul Kagame est par ailleurs bien connue et nous ne nous attendions pas à ce que la commission qu’il dirige mette en cause le parti dont il est lui-même membre et fondateur ainsi que ses camarades et compagnons de lutte dont Kagame lui-même, alors que des enquêtes internationales les désignent comme instigateurs et commanditaires de l’attentat.
Nous souhaitons attirer l’attention de l’opinion sur le fait qu’à part l’indépendance douteuse de cette commission rwandaise, elle n’a été créée qu’en avril 2007 et mise en place par le gouvernement rwandais en novembre 2007 pour commencer les travaux en décembre de la même année, soit près de 14 ans après les faits. Ceci s’explique sans nul doute par l’indifférence du gouvernement rwandais depuis l’avènement du FPR au pouvoir au sujet de la recherche de la vérité sur cet acte terroriste. Cette indifférence a même été confirmée par Paul Kagame lui-même fin 2006 lorsqu’il déclarait sur les ondes internationales (à l’émission Hard Talk de BBC et sur RFI) qu’élucider la mort du président Habyarimana ne l’intéressait pas et qu’il s’en fichait complètement.
Les autorités de Kigali prétendent avoir écrit à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) leur demandant la mise en place d’une commission d’enquête internationale et que celle-ci n’y aurait pas donné suite. Nous osons imaginer (sans ironie) l’insistance avec laquelle l’administration du FPR a pu faire cette demande ! Nous soutenons que si le gouvernement de Kigali avait réellement eu une volonté ferme de demander une enquête internationale, il y serait parvenu et Paul Kagame n’aurait sans doute jamais déclaré que l’enquête sur la mort du président Habyarimana ne l’intéressait pas. De plus, la considération du peuple burundais, dont le président Cyprien Ntaryamira a aussi péri dans cet attentat et donc sur le sol rwandais, par ce même gouvernement, aurait normalement dû l’inciter à reconnaître son devoir de tout mettre en oeuvre pour qu’une enquête internationale soit créée à cet effet.
Il est de notoriété publique que le génocide rwandais a été déclenché par l’attentat du 6 avril 1994. Pendant 15 ans, Paul Kagame et son pouvoir n’ont jamais voulu faire la lumière sur l’acte terroriste sans lequel le Rwanda et, sans nul doute, toute la région des Grands Lacs n’auraient sombré dans le chaos. Cet immobilisme dû à l’indifférence du pouvoir rwandais démontre que le FPR veut à tout prix éviter que sa très grande responsabilité dans le génocide ne soit démontrée de façon irréversible. Depuis 1998, la justice anti-terroriste française enquête sur cet attentat. Contrairement au rapport Mutsinzi et à ce qu’affirment les détracteurs de la vérité, la justice française a débuté son enquête suite à un dépôt de plainte par une des familles des victimes françaises de l’attentat et non pas à la demande des autorités françaises. L’indépendance, l’objectivité et le professionnalisme avec lesquels la justice française mène cette enquête ne peuvent être contestés que par ceux qui sont impliqués dans cet attentat ou ceux qui veulent que l’histoire du génocide rwandais continue d’être travestie. L’enquête de la justice française dans laquelle nous sommes constitués partie civile, est à ce jour la seule enquête judiciaire crédible sur cet attentat. Tourner en dérision et minimiser plus de 11 ans de travail d’hommes et de femmes spécialisés dans les enquêtes et la lutte anti-terroriste internationales, serait un mépris pour les victimes ainsi que pour la justice à laquelle nous aspirons.
Nous rappelons que les magistrats français ne sont pas les seuls à avoir démontré et soutenu l’implication de Paul Kagame et du FPR dans cet attentat. Bien avant la justice française, M. Michael Hourigan, enquêteur australien mandaté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), remit son rapport en mai 1997 à l’ONU et au TPIR. Ce rapport désignait clairement et nommément Paul Kagame et le FPR comme les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. Dès lors que les nouveaux maîtres de Kigali ont été désignés responsables, il a été ordonné à M. Hourigan et son équipe de cesser leurs investigations. Après des années passées à la tête des investigations du TPIR et un sentiment d’impossibilité de recherche de vérité en inculpant que les seuls Hutu, Mme Carla Del Ponté dévoila son souhait d’enquêter sur les crimes commis par le FPR. Elle s’intéressait notamment à l’élucidation de l’attentat du 6 avril 1994 et faisait partie de ceux qui soutenaient que les investigations sur cet attentat étaient dans les compétences du TPIR. Elle déclara : « s’il s’avère que le FPR est l’auteur de l’attentat, c’est toute l’histoire du génocide qu’il faudra réécrire ». Cette volonté manifeste de rendre justice à toutes les victimes lui a coûté sa place de procureur général du TPIR suite à des pressions de Kagame auprès de l’ONU.
La justice espagnole qui enquête également sur des crimes de génocide commis au Rwanda et en RD Congo, désigne elle aussi Paul Kagame et le FPR comme commanditaires de cet attentat. Le rapport Mutsinzi impute la responsabilité de l’attentat aux forces gouvernementales de l’époque (ex-FAR), notamment les officiers supérieurs Bagosora, Ntabakuze et Nsengiyumva. Ces officiers sont poursuivis par le TPIR et détenus à Arusha. Force est de constater que lors de leurs procès, ces mêmes officiers ont constamment demandé au TPIR de diligenter une enquête sur l’assassinat du chef de l’Etat rwandais afin que les responsabilités dans le génocide rwandais soient tirées au clair. Leurs diligences n’ont jamais été honorées !
Nous nous demandons dès lors comment des personnes déjà poursuivies pour génocide et se battant depuis des années pour prouver leur innocence, se mettraient la corde au cou en demandant au TPIR d’enquêter sur un crime qu’ils auraient eux-mêmes commis ? Nous soutenons que si cet acte terroriste et élément déclencheur de cette ignoble tragédie leur incombait, le TPIR se serait immédiatement saisi de l’affaire.
Le nombre de témoins entendus par la commission Mutsinzi (557 personnes) ne crédibilise en rien ses conclusions. Toute personne avertie sait que le Rwanda est un pays dans lequel les libertés des personnes sont bafouées quotidiennement et les éliminations physiques devenues banales. Il suffit d’avoir des divergences d’opinion ou d’être pointé du doigt pour être emprisonné ou éliminé. Les organismes internationaux de défense des droits de l’homme qui ne cessent d’épingler le régime du FPR peuvent en témoigner. Dans ces conditions, comment ne peut-on pas imaginer la pression et la peur que ces différents témoins, ex-FAR pour la plupart, ont eu à subir pour donner leurs témoignages qui dédouanent le FPR et incriminent leurs frères d’armes ?
Nous rappelons aussi qu’au sein de notre famille il y a des témoins directs de l’attentat qui se trouvaient à notre résidence personnelle de Kanombe au moment des faits. Ils sont tous formels : Les tirs des missiles sont partis de la colline de Masaka (ou de sa vallée). Ces témoins oculaires avaient la colline de Masaka en face d’eux au moment où l’avion présidentiel faisait son approche, et le camp Kanombe se trouvait à leur droite et légèrement derrière. Aucun d’entres-eux n’a bien sûr été auditionné par la commission Mutsinzi. A moins donc que la géographie ou la topographie de cette partie du Rwanda n’aient changé depuis avril 1994, les conclusions du rapport Mutsinzi à ce sujet ne sont que pures mensonges.
Le rapport Mutsinzi produit en preuve des photographies de l’épave de l’avion présidentiel prises par l’un des fils du président et témoin oculaire de l’attentat, et paradoxalement ne prend pas en compte son témoignage. Nous rappelons que ce témoin, Jean-Luc Habyarimana, a donné sa version des faits en témoignant dans l’enquête dite « Bruguière » ainsi que devant le TPIR à deux reprises.
Il est aussi totalement insupportable pour nous de voir accusée notre mère d’être responsable de l’assassinat de son mari. Le rapport Mutsinzi indique qu’à la fin du mois de mars 1994, le président Mobutu du Zaïre (actuel RD Congo) aurait informé Mme Habyarimana de la préparation d’un attentat contre son mari et que cette dernière n’en aurait pas informé le président malgré la demande du président zaïrois. Même si le ridicule ne tue pas, nous n’aurions pu imaginer un tel cynisme. Cette commission a-t-elle interrogé les présidents Mobutu et Habyarimana avant leur mort ? A-t-elle eu cette information inopinée de la part de Madame Habyarimana ? Pourquoi le président Mobutu aurait-il préféré informer son homologue rwandais par l’entremise de son épouse alors qu’il savait qu’il allait recevoir le président Habyarimana à Gbadolité le 4 avril 1994 ?
Il y est aussi stipulé que Mme Habyarimana l’aurait avoué au président Mitterrand par téléphone le 6 avril 1994 à 21h30 au moment où celui-ci lui présentait ses condoléances ! Madame Habyarimana n’a jamais parlé avec le président Mitterrand ce soir-là.
De telles bassesses de la part de cette commission et ses faux témoins ne peuvent que renforcer l’idée que nous avons d’elle.
Pour nous, les conclusions du rapport Mutsinzi étaient donc connues d’avance parce que ses auteurs ne pouvaient pas aller outre la mission, de blanchir le FPR et son chef, que le gouvernement rwandais leur avait assignée.
Nous renouvelons notre confiance en la justice française pour faire la lumière sur cet acte de terrorisme et continuons à déplorer l’inertie de la communauté internationale à ce sujet 15 ans après les faits.
Sans une élucidation sérieuse et crédible de l’attentat du 6 avril 1994, le génocide rwandais continuera à être instrumentalisé par ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que la vérité se sache. Nous saisissons cette occasion pour rappeler à la communauté internationale son devoir d’aider toutes les victimes à obtenir une justice impartiale. Ceci permettra au peuple rwandais dans son entièreté à entamer un travail de mémoire pour aboutir à une réelle réconciliation.
Fait à Paris, le 25 janvier 2010
Pour la famille Juvénal Habyarimana :
Léon Habyarimana Bernard Habyarimana Jean-Luc Habyarimana