Cette analyse exhaustive des archives du Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR) révèle des divergences significatives entre les allégations portées
contre les concepts d’“Akazu” et de “Réseau Zéro” et les preuves effectivement
établies devant les chambres de jugement. L’examen minutieux des documents
judiciaires démontre que ces termes, initialement conçus comme instruments de
lutte politique par l’opposition au régime Habyarimana, ont été progressivement
transformés en éléments centraux d’un narratif génocidaire sans qu’une preuve
juridique solide de leur existence organisationnelle ne soit apportée. Plus
particulièrement, l’analyse révèle l’absence de preuves concrètes d’un plan
génocidaire détaillé antérieur au 6 avril 1994.

 

 

Introduction

 
Contexte Historique et Juridique

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, établi par la résolution 955 du Conseil
de sécurité des Nations Unies en novembre 1994, avait pour mandat de poursuivre
les personnes responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire rwandais entre le 1er janvier et
le 31 décembre 1994. Dans le cadre de sa mission, le tribunal a été confronté à la
nécessité d’examiner les allégations concernant l’existence d’un réseau organisé
autour du président Juvénal Habyarimana, communément désigné sous le terme
d’“Akazu”, ainsi que d’un réseau de communication secret appelé “Réseau Zéro”.

 
Questions de Recherche

Cette étude vise à répondre à trois questions fondamentales : premièrement, quelle
est l’origine documentaire et l’évolution sémantique des concepts d’“Akazu” et de
“Réseau Zéro” dans les archives judiciaires du TPIR ? Deuxièmement, dans quelle
mesure les preuves présentées devant le tribunal établissent-elles l’existence d’un
plan génocidaire préalable au 6 avril 1994 ? Troisièmement, comment expliquer les
contradictions apparentes entre les allégations initiales et les conclusions juridiques
finales ?

 
Méthodologie

L’analyse s’appuie exclusivement sur les documents officiels du TPIR et de ses
instances d’appel, incluant les actes d’accusation, transcriptions d’audiences,
exhibits, jugements et arrêts. Une approche chronologique permet de suivre
l’évolution des concepts étudiés, tandis qu’une analyse transversale par affaire révèle
leur poids réel dans les décisions judiciaires. Chaque occurrence des termes étudiés
a fait l’objet d’un recensement systématique avec identification du contexte, du
locuteur et de l’impact sur la qualification juridique.

 

Chapitre 2 – Construction et Diffusion des Concepts Akazu & Réseau Zéro

 

Genèse Politique du Terme “Akazu”

L’origine du terme “Akazu” révèle une dimension politique souvent occultée dans les
analyses contemporaines. Selon les témoignages recueillis devant le TPIR, ce
concept trouve ses racines dans la stratégie d’opposition politique au régime
Habyarimana développée au début des années 1990. Jean-Marie Vianney Nkezabera,
membre influent du Mouvement démocratique républicain (MDR), a explicitement
déclaré devant la chambre que ce terme avait été “créé par son parti politique en 1991
pour ‘affaiblir’ l’ancien président et ses supporters”.

Cette révélation, corroborée par le témoignage de Jérôme-Clément Bicamumpaka,
ancien ministre des Affaires étrangères, précise les modalités de cette création
terminologique : “Pour des besoins de marketing politique, nous avions besoin d’une
cible”, explique Bicamumpaka, ajoutant que la commission “études et programmes”
du MDR avait proposé ce nom en février 1992. Un linguiste nommé Boniface
Ngurinzira avait suggéré ce terme pour désigner ceux qui entouraient le président
sans être officiellement désignés ou élus.

 

Sémantique et Évolution du Concept

Le terme “Akazu” puise ses racines dans la tradition rwandaise précoloniale, où il
désignait “le premier cercle de la Cour du Roi”. Cette référence historique a été
délibérément exploitée par l’opposition politique pour créer une représentation
péjorative de l’entourage présidentiel. Nkezabera précise que dans l’esprit du parti
MDR, l’Akazu était présenté comme “une petite hutte qui confine les lépreux”,
utilisant “le terme maisonnette de manière péjorative”.

L’instrumentalisation politique de ce concept apparaît clairement dans la stratégie
décrite par les témoins : “Nous voulions affaiblir le président Habyarimana. Dans
l’intervalle, parmi les slogans, nous avons inventé le terme akazu… Tous ceux qui
pouvaient l’aider étaient considérés comme des gens enfermés dans une petite
hutte”. Cette approche visait explicitement à isoler le président et à détacher ses
supporters du parti au pouvoir.

 
Le “Réseau Zéro” : Entre Réalité Technique et Construction Narrative

Les archives judiciaires révèlent une approche plus nuancée concernant le “Réseau
Zéro”. Le témoin ZF a témoigné de l’existence d’un réseau de télécommunications
secret utilisé par l’entourage du président Habyarimana. Ce témoin a décrit un
système de communication où les participants étaient désignés par différents noms
selon les périodes : “parfois ils étaient appelés ‘les Abakozi, les travailleurs’ et parfois
‘les dragons’”.

Cependant, la crédibilité de ces témoignages a été sérieusement remise en question
lors des procédures. La défense de Joseph Nzirorera a objecté à l’admission de ces
preuves, arguant que “ce fait matériel n’était pas plaidé dans l’acte d’accusation” et
que “sa source n’était pas suffisamment fiable ou n’avait pas une valeur probante
suffisante pour être admise”. La Chambre a conclu que “le flou de l’acte d’accusation
en relation avec” ces allégations constituait un problème procédural majeur.

 
Contestation de l’Existence Organisationnelle

Les avocats de Protais Zigiranyirazo ont développé une défense systématique
contestant l’existence même des concepts d’Akazu et de Réseau Zéro en tant
qu’entités organisées. Me De Temmerman, avocat de Zigiranyirazo, a qualifié ces
concepts d’“inventions politiques propagées après l’introduction du multipartisme au
Rwanda par de soi-disant organisations de droits de l’homme et des journalistes
irresponsables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Rwanda”.

Cette position défensive s’appuie sur l’absence de preuves documentaires
contemporaines établissant l’existence formelle de ces structures. Les archives du
TPIR ne révèlent aucun document organisationnel, aucun organigramme, aucune
trace administrative formelle de ces entités présumées. L’ensemble des témoignages
repose sur des déclarations rétrospectives, souvent émises dans des contextes
politiquement chargés.

 

Chapitre 3 – Analyse des Preuves TPIR sur l’Allégation de “Plan Génocidaire”

 
Position Juridique des Chambres sur l’Existence d’un Plan

L’analyse des décisions judiciaires révèle une position constante des chambres du
TPIR concernant la nécessité d’un plan préalable pour caractériser le génocide. Dans
l’arrêt Karemera et consorts, la Chambre d’appel a explicitement rappelé que
“l’existence d’un plan ou d’une politique n’est pas un ingrédient légal du crime de
génocide”. Cette position juridique fondamentale établit que “bien que l’existence
d’un tel plan puisse aider à établir que l’accusé possédait l’intention génocidaire
requise, cela reste seulement une preuve soutenant l’inférence d’intention et ne
devient pas l’ingrédient légal de l’infraction”.

Cette clarification juridique est cruciale car elle démontre que l’absence de preuve
d’un plan génocidaire préalable n’invalide pas les poursuites pour génocide, mais
soulève des questions sur la pertinence des allégations concernant l’Akazu en tant
que structure planificatrice. La Chambre a néanmoins précisé que “si l’existence d’un
plan pour commettre le génocide est vitale pour le dossier du Procureur, cela doit être
prouvé par des preuves”.

 
Absence de Preuves Documentaires d’un Plan Antérieur

L’examen systématique des archives du TPIR ne révèle aucune preuve documentaire
établissant l’existence d’un plan génocidaire détaillé antérieur au 6 avril 1994. Les
témoignages présentés par l’accusation reposent principalement sur des
déclarations rétrospectives et des inférences basées sur des événements
postérieurs à l’attentat contre l’avion présidentiel. Le témoin expert dans l’affaire
Kamuhanda a déclaré que “cet attentat a déclenché le génocide. Il a permis aux ultras
de prendre le pouvoir étatique. L’Akazu a pris le pouvoir et a mené à bien la
catastrophe que nous connaissons tous”.

Cette formulation temporelle est significative : elle présente l’attentat du 6 avril
comme le déclencheur permettant la prise de pouvoir, plutôt que comme l’activation
d’un plan préexistant. L’analyse chronologique des événements suggère une
dynamique réactive plutôt qu’une exécution planifiée d’un projet génocidaire élaboré.

 
Rôle du Colonel Bagosora et Prise de Pouvoir Post-Attentat

Les témoignages concernant les événements immédiats suivant l’attentat révèlent
une situation chaotique plutôt qu’une exécution ordonnée d’un plan préétabli. Selon
le témoin dans l’affaire Kamuhanda, l’assassinat d’Habyarimana visait à “créer un
vide politique et causer un chaos politique”.

Le témoignage précise que “après le meurtre du président, les hauts responsables
militaires se sont rencontrés immédiatement avec la MINUAR où Bagosora aurait
proposé que l’armée prenne le pouvoir. La MINUAR a refusé et a dit qu’une réunion
devrait plutôt être tenue avec le FPR”. Cette séquence d’événements suggère une
improvisation politique plutôt qu’une activation de plans préétablis.

 

Problématique des Témoignages Tardifs et Contradictoires

L’analyse des témoignages révèle des problèmes substantiels de cohérence et de
fiabilité. De nombreux témoins cités par l’accusation ont fourni des déclarations
contradictoires ou ont modifié leurs versions au cours des procédures. Le cas de
Michel Bagaragaza illustre cette problématique : bien qu’accusé lui-même devant le
TPIR, il a été présenté comme témoin dans d’autres affaires pour évoquer le rôle
central de l’Akazu.

Cette situation soulève des questions méthodologiques fondamentales sur la
validité des témoignages utilisés pour construire le narratif de l’Akazu. La défense a
régulièrement contesté la crédibilité de ces témoins, arguant qu’ils avaient des
motivations personnelles à présenter une version particulière des événements pour
minimiser leur propre responsabilité.

 

Chapitre 4 – Rôle des Révisions Testimoniales et Erreurs Procédurales

 
Problèmes d’Identification et de Caractérisation des Accusés

L’examen des actes d’accusation révèle des incohérences dans la caractérisation de
l’appartenance à l’Akazu. Protais Zigiranyirazo, qualifié d’ancien membre de l’Akazu
dans les documents officiels, était décrit comme “perçu comme membre de l’Akazu,
le cercle puissant autour de l’ancien président Juvénal Habyarimana”. Cette
formulation prudente (“perçu comme”) indique l’absence de preuves formelles
d’appartenance à une structure organisée.

De même, l’acte d’accusation de Zigiranyirazo le lie “aux escadrons de la mort et au
soi-disant ‘Réseau Zéro’ qui, selon les organisations de droits de l’homme, ont été
mis en place après l’invasion du Rwanda par les guérilleros tutsis du FPR en 1990”.
Cette référence aux “organisations de droits de l’homme” comme source principale
révèle l’absence de preuves judiciaires directes et la dépendance du tribunal envers
des sources externes potentiellement biaisées.

 
Défaillances dans la Notification des Accusations

Les archives judiciaires documentent des problèmes procéduraux significatifs
concernant la notification adéquate des accusations liées au Réseau Zéro. Dans
l’affaire contre Joseph Nzirorera, la Chambre a noté qu’il n’y avait “aucune référence
au réseau zéro et à ses membres dans l’acte d’accusation”. Le mémoire préliminaire
ne contenait qu’une note de bas de page mentionnant que “le sociologue André
Guichaoua et l’historien Alison Des Forges, ainsi que plusieurs témoins factuels,
commenteront que Joseph Nzirorera, que ce soit réellement par ses actes ou
seulement par sa réputation, était associé au … ‘Réseau Zéro’ qui planifiait et
exécutait des assassinats politiques comme méthode de contrôle social”.

Cette notification déficiente a conduit la Chambre à conclure que “contrairement à
l’assertion du Procureur, à la lumière du volume de la divulgation, une déclaration de
témoin ne peut pas, sans quelque autre indication, signaler adéquatement à l’accusé
que l’allégation fait partie du dossier de l’accusation”.

 
Impact des Témoins Experts Contestés

Le recours à des témoins experts comme Alison Des Forges a introduit une
dimension académique aux procédures, mais a également soulevé des questions sur
l’objectivité scientifique. Lors du contre-interrogatoire dans l’affaire Zigiranyirazo,
Des Forges a été confrontée à des questions sur la fiabilité de ses sources et
méthodes. La défense a particulièrement questionné sa connaissance des
événements spécifiques, notamment concernant un incident au stade de
Nyamirambo en janvier 1992 où les partis d’opposition auraient brûlé “une petite
hutte qu’ils appelaient ‘l’Akazu’”.

Cette révélation, si elle était avérée, démontrerait que l’opposition politique utilisait
déjà le terme “Akazu” de manière symbolique pour critiquer le régime en place,
renforçant la thèse de la construction politique du concept. Des Forges a déclaré ne
pas connaître cet incident spécifique, soulevant des questions sur l’exhaustivité de
ses recherches.

 
Reconnaissance Judiciaire Limitée de l’Existence de l’Akazu

Bien que certaines sources indiquent que “l’existence de l’Akazu a été reconnue ‘au-
delà de tout doute raisonnable’ par une chambre du TPIR”, l’analyse détaillée des

jugements révèle une reconnaissance limitée portant davantage sur l’existence d’un
entourage présidentiel que sur une structure organisationnelle formelle avec des
objectifs génocidaires préétablis. Cette distinction est cruciale car elle sépare la
reconnaissance de l’existence de relations informelles autour du président de la
preuve d’une organisation criminelle structurée.

La formulation utilisée dans les jugements tend à reconnaître l’existence d’un “cercle
intime” ou d’un “entourage” sans pour autant établir la preuve d’une structure
organisationnelle avec des objectifs criminels préméditées. Cette nuance juridique
explique en partie pourquoi les condamnations ont été prononcées sur la base
d’actes individuels plutôt que sur la participation à une entreprise criminelle
commune préétablie.

 

Conclusion – Synthèse et implications

 

Synthèse des Principales Conclusions

L’analyse exhaustive des archives du TPIR concernant les concepts d’“Akazu” et de
“Réseau Zéro” révèle un décalage substantiel entre les allégations initiales et les
preuves juridiquement établies. Premièrement, l’origine politique du terme “Akazu”,
explicitement reconnue par les témoins eux-mêmes comme une création de
l’opposition MDR à des fins de “marketing politique”, remet en question sa validité en
tant que descripteur objectif d’une structure organisationnelle réelle. Deuxièmement,
l’absence de preuves documentaires contemporaines établissant l’existence
formelle de ces entités contraste avec l’importance accordée à ces concepts dans le
narratif post-génocidaire.

Troisièmement, la position constante des chambres du TPIR selon laquelle
l’existence d’un plan génocidaire préalable n’est pas un élément constitutif du crime
de génocide, combinée à l’absence de preuves concrètes d’un tel plan antérieur au 6
avril 1994, suggère que les allégations concernant la planification génocidaire par
l’Akazu relèvent davantage de la construction narrative que de la réalité juridique
établie. Quatrièmement, les problèmes procéduraux documentés, notamment les
défaillances de notification et les contradictions testimoniales, soulèvent des
questions sur la solidité méthodologique de l’instruction concernant ces concepts.

 
Implications pour la Compréhension Historique

Ces conclusions invitent à une réévaluation critique de l’historiographie du génocide
rwandais, particulièrement concernant le rôle attribué aux structures présumées de
planification. La distinction établie par les archives judiciaires entre l’existence d’un
entourage présidentiel informel et la preuve d’une organisation criminelle structurée
avec des objectifs génocidaires préétablis est fondamentale pour une
compréhension nuancée des mécanismes qui ont conduit au génocide.

L’origine politique avouée du terme “Akazu” et son utilisation stratégique par
l’opposition démontrent la nécessité de contextualiser historiquement les concepts
utilisés dans l’analyse du génocide. Cette approche permet de distinguer les
éléments relevant de la lutte politique contemporaine de ceux constituant des
preuves historiques objectives.

La présente analyse démontre l’importance cruciale de distinguer entre les
allégations portées devant un tribunal international et les preuves effectivement
établies par celui-ci. Cette distinction est fondamentale pour maintenir la rigueur
scientifique nécessaire à une compréhension objective des événements historiques,
particulièrement dans des contextes aussi sensibles que celui du génocide
rwandais.

 

Pour la Fondation Habyarimana, fait à Paris le 26 mai 2025